Accompagner le grand âge

Témoignage de Sœur Nicole

"Pour moi, l’essentiel est la présence et l’écoute gratuite, sans conditionsans jugement."

Je suis chargée de l’accompagnement de nos Sœurs résidentes à l’EHPAD – site Marie Immaculée.

Avant la période COVID, Soeur Yvette et moi-même, nous vivions au milieu d’elles et des autres résidents, ayant un bureau pour la communauté, prenant les repas avec tous, priant les offices quotidiens avec nos Sœurs et les visitant lorsque nous le voulions.

La Covid a tout changé : considérées comme famille des résidents, nous avons dû aller vivre dans la maison appelée Conciergerie, à quelques pas de l’EHPAD, avec les mesures mises en place pour tous les visiteurs et respectant les horaires de visites.

Actuellement, lorsque je suis à Ceignac, je vais les visiter très régulièrement et presque quotidiennement. Cette mission, que j’ai eu à découvrir en étant nommée ici, est belle : il s’agit d’être proche de personnes qui ont donné toute leur vie à Dieu et aux autres et qui, maintenant arrivent au terme de leur route !

L’important est l’amour qui se vit à travers ces relations toutes simples ! Comme Moïse au buisson ardent, je dois « me déchausser avant d’entrer un peu… dans cette terre sacrée ! » de la rencontre avec l’autre - l’Autre !

Je ne suis pas une spécialiste de l’accompagnement du grand âge ! Je vis cela avec ma foi, avec ma prière, avec ce que je suis tout simplement !

Désormais il n’y a plus que 6 Sœurs Résidentes, toutes avec un grand âge : de 91 à 100 ans passés. Certaines entendent peu, voient mal, ou même sont un peu perdues ! D’autres ont encore les idées bien claires. C’est un plaisir de les rencontrer toutes !

Pour moi, l’essentiel est la présence et l’écoute gratuite, sans conditionsans jugement.

Sentir que nous sommes proches d’elles, les sécurise… Etre là et laisser s’exprimer ce qui les touche, ce qui les surprend, ce qui les fait souffrir… Ecouter, et écouter encore 100 fois les mêmes choses déjà entendues… mais être une présence aimante qui apporte du réconfort, qui impulse de la vie par les petits partages vécus.

· Ecouter les petits soucis de la vie et du quotidien qui ont beaucoup d’importance pour elles : Par exemple, leurs douleurs – toujours les mêmes…, la télé qui ne fonctionne pas, une mauvaise nuit que l’on a passé, la toilette faite ‘en retard’ !..., un vêtement non remis à sa place…, la famille qui n’a pas donné de nouvelles… Mon rôle est alors de comprendre et d’aider à relativiser.

· Ecouter cette envie de vivre « jusqu’au bout. ». « Chaque fois que le peux, je vais aux animations…même si je ne peux plus beaucoup participer » dit une Sœur qui a 97 ans et sa voisine de 99 ans me dit de son côté : « Là, je vois les autres résidents… et on joue au scrabble aussi. »

Entendre ces petites joies qui rendent leur vie de résidente plus agréable !

« Il me faut aller voter ; c’est trop important l’élection du Président ! »… Bien sûr, je lui présente chacun des candidats et elle fera son choix.

Ecouter leur joies : Joie qui vient du sentiment d’être reconnue par le personnel, d’un courrier reçu, d’une visite inattendue, d’un moment agréable, d’un petit moment de prière (Vêpres, le dimanche) ensemble…

· Ecouter ce que l’on a vécu dans le passé : des souvenirs agréables racontés régulièrement et toujours avec beaucoup d’enthousiasme, et ceux que l’on voudrait oublier et qui ont fait souffrir ! C’est comme un temps de relecture de la vie où je leur suggère parfois de rendre grâces, en tout cas, de tout remettre à ce Dieu tout Amour !

· Ecouter les plaintes, les difficultés du vieillissement pour l’une ou l’autre La question du sens se pose : « Pourquoi suis-je encore là ? »… Oui, assumer le vieillissement, consentir à tout perdre peu à peu et devenir dépendant ne va pas de soi ! Je constate que chacune le vit à sa façon, avec plus ou moins de facilité. « Je ne fais plus rien maintenant… » dit très souvent avec peine une Soeur âgée de 97 ans ! Cela me conduit à lui rappeler ce qu’elle a vécu mais aussi, il m’arrive de lui dire : « que voudrais-tu faire ? »… Elle constate qu’elle ne peut plus… n’a plus la force. Et ma réponse est alors : « Tu as encore une grande mission : c’est la prière ! Tous ces enfants que tu as connus, aidés, aimés, (elle était éducatrice) ils comptent encore sur toi, même si tu ne les rencontres plus. Ils comptent sur toi pour que tu les prennes auprès du Seigneur, avec leur famille, et que tu les lui confies ! C’est pareil pour chacune de nous en Congrégation… Et aussi ici dans l’EHPAD, il y a tous les résidents et le personnel qui comptent aussi sur toi… et sur ta gentillesse.»

Il y a des personnes qui prient beaucoup, et grâce à KTO vivent ainsi une ouverture à ce qui se passe dans le monde et en Eglise.

· Ecouter et entendre le désir de « s’en aller ! », de mourir ! C’est une joie pour moi lorsque je vois, qu’avec le temps, l’une d’elles s’est apaisée maintenant et attend ce moment du Passage avec beaucoup de sérénité. Régulièrement, elle range ses affaires, trie ses papiers et dit : « Quand je partirai, tu auras moins de travail…»

Une autre, pacifiée depuis bien longtemps, attend cette réalité de la mort : « Je demande au Seigneur de venir me chercher ! … Quand Il voudra ! ». Il y a 4 ans, durant une période où elle allait assez mal, elle m’avait dit : « Ne t’inquiète pas ; dans les nappes phréatiques*, je vais bien ! » et nous avons souvent évoqué ensemble ce bonheur éprouvé d’être toute à Dieu !

Une autre m’a dit il y a très peu de temps, alors qu’elle était au lit… et pas très bien : « J’ai peur ! » - « De quoi tu as peur ? » - « De la mort. » -Après un petit silence, je dis : « Tu sais que tu vas retrouver le Seigneur que tu cherches, mais tu as peut-être peur de ce Passage ? » - « oui… ». Et nous avons prié ensemble en remettant tout à Dieu. Ensuite, j’ai eu la joie de l’entendre remercier pour ce temps de prière !


. Je peux dire que la Foi de mes Sœurs si âgées m’émerveille ! Sans voir beaucoup, sans entendre tout, plusieurs ne peuvent plus prier l’Office des Laudes et Vêpres. Certaines suivent la Messe à KTO ainsi que le chapelet : moments sacrés !... Moments qui rythment aussi leur journée. Si elles le peuvent, elles lisent l’Evangile du jour et lors de mes visites, elles aiment en parler.

Le dimanche, avec Soeur Yvette, nous préparons une petite Célébration qui se déroule à la Chapelle. Ce temps pour elles, pour nous, est précieux : prier ensemble, se retrouver auprès du Seigneur… Chaque fois, elles disent leur joie ! Leur fidélité nous touche beaucoup.

· Mon désir est de leur procurer un peu de bonheur et aussi « que chacune puisse dire – en paraphrasant Sainte Emilie au sujet des petites élèves –

‘Ma maîtresse a pensé à moi aujourd’hui ! ». Que chacune, dans la situation qui est la sienne, puisse se sentir aimée comme elle est !

· Je redis que je ne suis pas une experte du grand âge !

Je mets tout mon cœur dans ces rencontres avec ces Sœurs aînées ; cela suppose de ma part d’être disponible intérieurement, d’être vraiment présente, et plus concrètement, de leur fournir les objets dont elles ont besoin ou gâteries qui leur font plaisir. Il y a aussi les soucis quant à leur santé ; l’attente du diagnostic lorsqu’une est hospitalisée ; les derniers moments à assumer… dans la paix et la vie à ré- impulser auprès des autres suite à un décès !

· Oui, c’est une belle mission d’être à l’écoute des autres et de leur rendre également de petits services. Je reçois autant que je donne… En elles, je reconnais souvent le visage de Jésus souffrant !

A mon tour, je rends grâces pour tout ce que je reçois d’elles !…

*Par ce terme de « nappes phréatiques », cette sœur parle de son ressenti le plus profond, elle veut dire que « tout au fond, je vais bien ».