Rencontre avec
Albert Rigal

Albert Rigal est né le 4 mars 1930 dans la maison où il vit encore. Agriculteur à la retraite, il est la mémoire vivante de Sainte-Juliette.

Nous l’avons interrogé sur ses souvenirs de la vie religieuse de son village.


L’église

J’ai des points de repère très simples à ce sujet : ma mère était l’aînée d’une famille de trois enfants. Elle est née en 1893 et a été baptisée dans l’ancienne église qui était, paraît-il, prête à s’effondrer. Sa sœur a été baptisée en 1895 dans la grange qu’un voisin mettait à disposition pour les cérémonies pendant la construction de la nouvelle église. Et leur petit frère a été baptisé en 1897 dans la nouvelle église.

Pour la construction de cette nouvelle église, les habitants du village ont fait des sacrifices : ils ont donné de l’argent et des journées de travail pour charrier des pierres. Le cimetière était à proximité de l’église. Il a été changé de place, on l’a mis à l’extérieur du village, là où il est actuellement. Il porte le nom de Saint-Jean-Baptiste, parce que le premier défunt qu’on y a enterré s’appelait Baptiste.

Le clocher

Malheureusement, en 1939, la foudre a fait tomber le clocher. J’avais 9 ans, je m’en rappelle comme si c’était hier. L’abbé est parti en voiture chercher les pompiers à Rodez. Ils ont fait ce qu’ils ont pu pour sauver l’église, ils ont tari tous les puits du village, mais le clocher a brûlé. Ça s’est passé comme l’incendie de Notre-Dame.

Deux cloches se sont cassées en tombant. La survivante a été installée sur trois piquets et on l’a sonnée pendant 7 ans. C’était la guerre, il y avait pénurie de matériaux. La reconstruction a été payée à 100% par les gens du village, sans aides publiques. Des paroissiens ont fourni les arbres pour la charpente. Les trappistes de Bonnecombe, qui avaient de belles forêts, ont donné aussi des arbres. On allait les chercher en traversant le Viaur avec les charrettes tirées par des chevaux, pour les amener à une scie que Vidal de Flavin avait installée chez Gayrard, au lieu-dit La Castagnalette.

M. Sudries de Comps-la-Grandville a fait la maçonnerie. Barthes de Cassagnes a fait la toiture. L’électricité a été faite par le père Fabre lui-même, il était très doué pour ça.

Les prêtres

J’ai d’abord été enfant de chœur avec l’abbé Laur. Il est mort en mars 1945. Ensuite, nous avons eu le père Fabre. Il avait fait brancardier pendant la guerre. Il savait comment s’occuper des malades. Il a monté un chœur de chant et m’a demandé d’y participer. Il nous faisait répéter au presbytère, en jouant de l’harmonium. Sa sœur qui était sa gouvernante, comme c’était fréquent à l’époque, conduisait le chœur des femmes pendant les cérémonies, mais personne ne jouait de musique dans l’église, puisque le père Fabre était le seul à savoir jouer.

A tour de rôle, les familles offraient un pain au prêtre pendant la messe du dimanche. Il le bénissait et le prenait chez lui : c’était son pain pour toute la semaine.

Les fêtes

Pour Noël, les garçons préparaient le cadre de la crèche avec des guirlandes, des bottes de paille et des branches de houx. Les marguillières (c’est ainsi qu’on appelait les jeunes filles qui entretenaient et fleurissaient l’église) mettaient en place les statuettes des personnages. L’abbé Fabre avait installé un système électrique : en mettant une petite pièce, on entendait jouer l’Ave Maria de Lourdes. Il y avait aussi une étoile éclairée à l’électricité. Mais nous, à la maison, nous n’avions pas l’électricité.

A minuit, pour la messe, l’église était bondée. Tout le monde venait à pied, même ceux de loin et même s’il y avait de la neige. A 18ans j’ai commencé à chanter le Minuit Chrétien.

Au retour, on mangeait en famille des quartiers d’oie ou de canard, une tarte, une fouace...

(Raymonde, l’épouse d’Albert, précise que, avant de partir à l’église, sa mère mettait un poulet à cuire dans une cocotte sous la braise, recouverte de cendres pour garder la chaleur. Au retour, le poulet était cuit à point et tout le monde se régalait.)

Le lendemain, les enfants trouvaient quelques cadeaux posés devant la cheminée éteinte : une orange, du chocolat, une poupée, un bœuf ou une cariole en bois … Et on repartait aux cérémonies comme pour un dimanche : la messe basse à 7 heures, puis la grand-messe et les vêpres l’après-midi.

Les pèlerinages

En 1946, le père Fabre venait d’arriver. Il avait 38 ans. A cause de la sécheresse, il a organisé un pèlerinage à Saint-Sauveur de Grandfuel. La messe a été dite à l’extérieur, parce qu’il y avait beaucoup de monde. L’évêque Monseigneur Dubois était présent. Il a laissé le père Fabre faire le prêche, parce que c’était quelqu’un qui parlait très bien. Puis tous les deux ils sont descendus au Viaur pour tremper la relique de la Sainte-Epine dans l’eau, pour faire venir la pluie.

Et si au contraire on avait trop de pluie, on allait en pèlerinage à Florac, sur la même paroisse de Saint-Sauveur.

Le dimanche de Pentecôte, le pèlerinage à Ceignac réunissait Sainte-Juliette, Le Piboul et Millac. D’ici, ça fait à peu près 10 km. On partait du village à pied ou en voiture à cheval et se retrouvait là-bas. A tour de rôle, les prêtres de chaque village disaient la messe. A l’entrée de Ceignac, on mettait les habits d’enfant de chœur, avant de monter à l’église. Après la messe, on pique-niquait dans la prairie ou à l’abri des pèlerins et on assistait aux vêpres l’après-midi.

Les processions

Pour la Fête-Dieu, les marguillières décoraient les trois croix du village. La veille, tout le monde allait ramasser des fleurs dans les environs. Le jour de la fête, les enfants du catéchisme avaient une boîte à chaussures habillée de tissu blanc et tenue au cou par un ruban. Quatre jeunes hommes tenaient un dais au-dessus du prêtre qui portait la relique de sainte Julitte et saint Cyr. La procession se rassemblait à l’église, après la messe. On faisait le tour du village. On s’arrêtait à chaque croix. Il y avait des prières et des cantiques. Et puis, sur un signal, les enfants jetaient des fleurs sur la croix, en faisant attention d’en garder assez pour toutes les croix. On terminait en revenant à l’église.

Pour le 15 août aussi, il y avait aussi une procession après les vêpres, mais sans le lancer de fleurs.

Les Rogations : la bénédiction des bêtes

Chaque quartier du village apportait des produits de la terre : du pain, du fromage, du blé pour les poules… qu’on plaçait devant la croix la plus proche. Après la messe, on se réunissait devant les trois croix l’une après l’autre. Le curé bénissait les produits. On faisait sortir les animaux : cochons, canards.. et le curé les bénissait aussi.

Le catéchisme

Il n’y avait qu’une école publique. L’instituteur s’occupait des garçons et l’institutrice des filles. Tous les deux allaient à la messe. L’instituteur était présent au repas de mon baptême et le curé aussi, il n’y avait pas de conflit. Nous, les élèves, tous les jours on quittait l’école à 11 h et on allait au catéchisme à l’église.

Les enterrements

Le glas annonçait un décès : grosse cloche pour un homme, la petite pour une femme. Le menuisier préparait le cercueil et c’était lui aussi qui mettait en bière et creusait la tombe. Le curé et des enfants de chœur allaient au domicile de la personne décédée et l’accompagnaient à l’église pour la cérémonie. Au cimetière, le curé bénissait le cercueil dans la tombe, il balançait l’encensoir. Puis il prenait la pelle et jetait la première pelletée de terre sur le cercueil.

Les sonneries de cloches

Il y avait quelqu’un pour tirer la corde pour sonner les cloches. Il avait une montre à gousset et n’était jamais en retard. Dès 4 heures du matin, il sonnait l’angélus, puis les messes, Du 1er mai jusqu’au 24 juin, on sonnait le glas tous les soirs au coucher du soleil. Même pendant les 7 ans où on n’a pas eu le clocher, la sonnerie des cloches n’a jamais été interrompue.